La dĂ©cision Ă©tait attendue avec anxiĂ©tĂ© par de nombreuses autoritĂ©s juives et musulmanes dans toute lâEurope.
Mardi 13 fĂ©vrier, la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme (CEDH) a statuĂ© sur lâinterdiction par deux rĂ©gions belges, la Flandre et la Wallonie, de lâabattage rituel sans Ă©tourdissement prĂ©alable en estimant qu’il ne s’agit pas d’une violation des libertĂ©s religieuses.
La rĂ©gion de Bruxelles-Capitale reste pour l’heure la seule en Belgique autorisant cette pratique.
Pour les deux cultes juif et musulman, les animaux doivent ĂȘtre saignĂ©s encore conscients pour que leur viande puisse ĂȘtre consommĂ©e conformĂ©ment aux principes religieux.
Dans la tradition juive, la consommation carnĂ©e est autorisĂ©e Ă la seule condition que lâabattage des animaux ( bĂ©tail, volaille mais pas poisson) soit rĂ©alisĂ© au cours dâun rituel codifiĂ© : la shehita (ou chekhita).
Cette technique, dĂ©crite de maniĂšre trĂšs prĂ©cise dans la Torah, est fondĂ©e sur le principe constant du respect de la vie animale. Ainsi, ritualiser la mort des animaux est un moyen de limiter leur souffrance et, par consĂ©quent, dâhonorer le vivant.
Lâabattage doit ĂȘtre rĂ©alisĂ© par un homme pieux et techniquement qualifiĂ©, le shohet.
Lâanimal est mis Ă mort par tranchage du cou (trachĂ©e et Ćsophage), au moyen dâun couteau affutĂ© rĂ©pondant Ă une sĂ©rie de prescriptions. Pour que la viande soit casher, une sĂ©rie de prescriptions complĂ©mentaires sont imposĂ©es, dont le retrait des parties de la dĂ©pouille impropres Ă la consommation.
La shehita a longtemps constitué un pilier de la société juive traditionnelle ; elle était financée par un impÎt spécial prélevé sur les membres de la communauté.
Actuellement, elle participe de lâorganisation de la cacherout qui contribue Ă lâautofinancement de la communautĂ© religieuse.
En Belgique, ce sont les communautés israélites orthodoxes Shomre Hadass et Machsike
Hadass dâAnvers qui sont les principales autoritĂ©s religieuses dĂ©livrant les certificats de
cacherout. Apposés sur la nourriture casher, ils en certifient la consommabilité par les
juifs de stricte observance.
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Dans lâislam, lâabattage rituel regroupe un ensemble de conditions qui rendent la viande halal, câest-Ă -dire consommable. Inscrit dans le Coran, il reprĂ©sente plus quâun simple rituel religieux.
Moins contraignant que la Shehita juive, lâabattage rituel musulman doit rĂ©unir certaines conditions et certains gestes pour que la viande soit dĂ©clarĂ©e licite Ă la consommation. La mort de lâanimal doit ĂȘtre intentionnelle, encadrĂ©e et contrĂŽlĂ©e.
En islam, les rĂšgles imposĂ©es pour lâabattage des animaux (bĂ©tail et volaille), le dhakĂąt, sont moins exigeantes que dans le judaĂŻsme. Le sacrificateur, qui – sâil nâest pas musulman doit appartenir aux âgens du Livreâ – procĂšde, au moyen dâune lame tranchante, Ă la mise Ă mort par Ă©gorgement.
Le choix de lâinstrument nâa que peu dâimportance, câest le geste qui compte : la gorge (la jugulaire, la trachĂ©e-artĂšre et lâĆsophage) doit ĂȘtre tranchĂ©e en une seule fois.
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Les deux mĂ©thodes dâabattage rĂ©clament que lâanimal soit conscient lors de sa mise Ă mort, ce qui exclut lâĂ©tourdissement prĂ©alable. Toutefois, certaines autoritĂ©s islamiques admettent un Ă©tourdissement simultanĂ©.
Le souci du bien-ĂȘtre animal se trouve au centre des lĂ©gislations des Ătats laĂŻques rĂ©gulant lâabattage des espĂšces bouchĂšres et des volailles.
L’abattage destinĂ© Ă produire de la viande casher, rĂ©pondant aux normes de la cacherout, câest-Ă -dire du code alimentaire du judaĂŻsme, est organisĂ© de façon relativement discrĂšte au sein de communautĂ©s juives devenues peu nombreuses en Europe.
En revanche, lâabattage destinĂ© Ă produire de la viande halal, rĂ©pondant aux besoins dâune population musulmane europĂ©enne en croissance, est beaucoup plus rĂ©pandu et est lâobjet dâune forte visibilitĂ© mĂ©diatique, particuliĂšrement lors de la cĂ©lĂ©bration de lâAĂŻd el-KĂ©bir (« grande fĂȘte » â ou AĂŻd el-Adha, « fĂȘte du sacrifice »).
En outre, la filiĂšre de production de viande halal est aux mains dâacteurs Ă©conomiques plus que religieux et elle a un impact sur le secteur de la viande en gĂ©nĂ©ral dans plusieurs pays europĂ©ens, dont la Belgique.
La question de lâabattage rituel concerne des normes supĂ©rieures en matiĂšre de libertĂ©
de religion, dâune part, et en matiĂšre de bien-ĂȘtre animal, de lâautre.
Le dĂ©veloppement du concept des droits fondamentaux de lâanimal, portĂ© par des
associations de dĂ©fense du bien-ĂȘtre animal, a conduit Ă la remise en cause du bien-
fondĂ© de la dispense dâĂ©tourdissement prĂ©alable accordĂ©e par la plupart des Ătats membres de lâUnion europĂ©enne pour raison religieuse.
Quelques pays europĂ©ens ont dĂ©jĂ interdit lâabattage sans Ă©tourdissement ; dâautres envisagent de le faire.
En Belgique, la sixiĂšme rĂ©forme de lâĂtat a attribuĂ© la compĂ©tence du bien-ĂȘtre animal
aux RĂ©gions Ă partir du 1er juillet 2014.
Depuis lors, la RĂ©gion wallonne et la RĂ©gion flamande ont adoptĂ© des dĂ©crets qui interdisent lâabattage sans Ă©tourdissement, respectivement Ă partir du 1er
septembre 2019 et du 1er janvier 2019.
En RĂ©gion de Bruxelles-Capitale, les discussions sont actuellement en cours Ă ce sujet.
Le bien-ĂȘtre animal est une cause Ă laquelle lâopinion publique europĂ©enne se montre
globalement de plus en plus réceptive. Elle est défendue par des groupes bien organisés,
qui ont fait de lâinterdiction de lâabattage rituel lâun de leurs objectifs.
Cette montĂ©e en puissance de lâintĂ©rĂȘt portĂ© au bien-ĂȘtre animal â qui sâobserve Ă©galement Ă travers dâautres manifestations, telles que lâinterdiction de la vivisection ou de la fourrure, ou la popularitĂ© grandissante des rĂ©gimes vĂ©gĂ©tariens ou vĂ©gĂ©taliens â a dĂ©bouchĂ© sur lâinterdiction de lâabattage rituel dans plusieurs pays europĂ©ens.
La traçabilitĂ© interne est Ă©galement un sujet de dĂ©bat.MĂȘme si les communautĂ©s religieuses peuvent l’organiser.
Au sein de la communautĂ© juive, lâensemble du processus de la cacherout est contrĂŽlĂ© de la sĂ©lection de lâanimal Ă lâassiette.
La production de viande halal, en revanche, nâest pas contrĂŽlĂ©e aussi Ă©troitement par des autoritĂ©s religieuses musulmanes : elle est essentiellement organisĂ©e par des acteurs Ă finalitĂ© purement Ă©conomique.
CONCLUSION
« Faut-il sacrifier la libertĂ© religieuse sur lâautel du bien-ĂȘtre animal ? », telle est la question posĂ©e par le constitutionnaliste Mathias El Berhoumi (USL-B) 130.
On pourrait ajouter à cette premiÚre interrogation une seconde, plus prosaïque : faut-il y sacrifier une activité économique florissante ?
Si lâabattage rituel a étĂ© particuliĂšrement ciblĂ© dans le cadre du dĂ©veloppement
des dispositifs visant Ă accroitre le bien-ĂȘtre animal, câest sans doute notamment en
raison de la grande visibilité, y compris médiatique, qui a été donnée aux abattages de
moutons rĂ©alisĂ©s soit dans le cadre domestique soit dans des structures dâabattage
temporaires, bien souvent Ă ciel ouvert, lors de lâAĂŻd el-KĂ©bir.
Pour une partie importante du public gĂ©nĂ©ral, mais Ă©galement des responsables politiques, lâabattage rituel se rĂ©sume Ă cet Ă©vĂšnement, contre les dĂ©sordres duquel il Ă©tait dĂšs lors important de lutter.Â
En rĂ©sumĂ©, lâopinion qui tend Ă prĂ©valoir actuellement au sein du monde politique
comme du public est celle que rĂ©sume ainsi la dĂ©putĂ©e bruxelloise Annemie Maes (Groen) : « MĂȘme si lâobligation de lâĂ©tourdissement (âŠ) Ă©tait considĂ©rĂ©e comme une ingĂ©rence
dans la libertĂ© de religion alors quâon conserve la possibilitĂ© dâimporter de la viande et
des produits Ă base de viande provenant dâanimaux abattus sans Ă©tourdissement, cette mesure ne porte en tout cas pas Ă ce point atteinte aux rĂšgles religieuses des communautĂ©s concernĂ©es quâon doive la considĂ©rer comme disproportionnĂ©e. Par contre, elle permet indĂ©niablement une avancĂ©e majeure sur le plan du bien-ĂȘtre des animaux »
Sources : Interdiction de lâabattage rituel &  CRISP-Les dĂ©bats autour de lâinterdiction de lâabattage rituel