🇧đŸ‡Ș-LittĂ©rature et rĂ©flexions : Vincent Engel « Les vieux ne parlent plus »….

« Mourir, la belle affaire, mais vieillir
 »

Que faire de nos aĂźnĂ©s ? Alors que la population est de plus en plus vieillissante, que la crise fait rage, que les vieux semblent gĂȘner car ils ne sont pas rentables, le gouvernement met en place un systĂšme aux apparences dĂ©mocratiques : les Villages de SantĂ© pour AĂźnĂ©s. Plus besoin de prendre en charge les finances et les fins de vie, parfois difficiles, de vos parents. On s’en occupe pour vous. Le gouvernement a ainsi crĂ©Ă©, un peu partout dans le pays, des Ă©tablissements Ă  la pointe oĂč l’on prend soin des seniors et de leur patrimoine.

MaĂźtre Alexandre Geoffroy, avocat spĂ©cialisĂ© dans la tutelle des personnes ĂągĂ©es, est l’un des concepteurs de ce programme. Il a dĂ©veloppĂ© un logiciel qu’il a vendu Ă  l’État et qui permet d’avoir un pronostic vital du senior. Alexandre est mĂȘme devenu le meilleur porte-parole de ces Villages. Il se rend partout pour en faire la promotion. Me Geoffroy est un personnage arrogant qui frĂ©quente les hautes sphĂšres. Il a ses privilĂšges qu’il entend bien garder. Il aime qu’on respecte son rang et qu’on le flatte. Ce cĂ©libataire apprĂ©cie la compagnie des femmes, notamment de Lise Charcot, une prĂ©sentatrice de la principale chaĂźne tĂ©lĂ©visĂ©e du pays. Sa plus fidĂšle compagne reste toutefois sa mĂšre. Il se ne passe pas une journĂ©e sans qu’il la voie.

Il se rend dans l’émission de Lise, « Des hauts dĂ©bats Â», pour faire la promotion des Villages de SantĂ© pour AĂźnĂ©s. Face Ă  lui, l’un des plus grands opposants Ă  cette politique gĂ©riatrique, Pierre Rambaud, un militant des Droits de l’Homme, qui hurle au scandale : selon lui, c’est un meurtre de masse. Mais Me Geoffroy ne se laisse pas dĂ©stabiliser. Tout semble lui sourire. Pourtant, les choses commencent Ă  se compliquer avec la mort suspecte de l’un de ses clients, Joseph Patty. Le fils de ce dernier, un dĂ©putĂ© ambitieux, est persuadĂ© que Me Geoffroy a assassinĂ© son pĂšre et va tout faire pour le dĂ©stabiliser. Cette mort est embĂȘtante, d’autant plus que son alibi vole en Ă©clats. La santĂ© de sa mĂšre lui donne Ă©galement du souci. La mĂ©moire de la vieille dame commence Ă  lui faire dĂ©faut. Alexandre imagine des plans pour partir avec elle dans un paradis perdu. Il ne faudrait pas qu’elle soit prise en charge par les Villages de SantĂ© car il n’a aucune envie de leur confier sa propre mĂšre. Pourquoi ? Le programme et le logiciel qu’il a mis sur pied peuvent-ils se retourner contre lui ? Ses propres affaires ne font-elles pas de l’ombre Ă  celles du gouvernement ? Ne s’est-il pas jetĂ© lui-mĂȘme dans la gueule du loup ? Et que cachent rĂ©ellement ces Villages de SantĂ© : des Ă©tablissements de soin ou des mouroirs ? Me Geoffroy n’a-t-il pas donnĂ© naissance Ă  une arme puissante ?

Les vieux ne parlent plus, qui relĂšve du roman d’anticipation, est une dystopie mettant en scĂšne une sociĂ©tĂ© sombre et individualiste. Les plus gros ont pris tous les pouvoirs, ont muselĂ© les petits et se dĂ©barrassent des plus faibles. Proche d’un scĂ©nario et bercĂ© d’ironie, le rĂ©cit donne Ă  voir un monde totalement repliĂ© sur lui-mĂȘme, un vĂ©ritable Ă©tat policier, une dictature douce. MĂȘme si la sociĂ©tĂ© imaginĂ©e ici n’est que fiction, le roman s’ancre dans des problĂ©matiques contemporaines qui rĂ©sonnent particuliĂšrement en ces temps troublĂ©s par le coronavirus : crises Ă©conomiques, pandĂ©mies – Ă  noter toutefois que le roman a Ă©tĂ© Ă©crit cinq ans avant la pandĂ©mie de Covid-19 –, population vieillissante, migration
 La crise de la Covid-19 a mis en lumiĂšre certaines zones d’ombre de notre civilisation, notamment la maniĂšre dont nous avons traitĂ© nos aĂźnĂ©s, totalement abandonnĂ©s Ă  une mort certaine. Vincent Engel, grand humaniste impliquĂ© dans le dĂ©bat public, nous donne Ă  voir un monde glaçant oĂč toute notion de solidaritĂ© semble avoir disparu. Avec le titre du roman, l’auteur rend hommage Ă  Jacques Brel et sa chanson Les vieux dans laquelle les personnes ĂągĂ©es sont vues comme des citoyens de seconde zone :

Les vieux ne parlent plus
Ou alors seulement parfois du bout des yeux
[
]
On vit tous en province quand on vit trop longtemps. 

Un roman qui, assurément, fait froid dans le dos.

Auteur prolifique, Vincent Engel a dĂ©jĂ  publiĂ© aux Éditions Ker plusieurs romans, recueils de nouvelles et un essai.Émilie GĂ€bele

 

Professeur de LittĂ©rature contemporaine Ă  l’UniversitĂ© catholique de Louvain (UCL) et d’histoire contemporaine Ă  l’Institut des hautes Ă©tudes des communications sociales (IHECS), il a Ă©crit de nombreux essais, romans, nouvelles ou piĂšces de thĂ©Ăątre.

Une piĂšce sur Vivaldi (« Viva! ») a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e l’automne 2017 avec Pietro Pizzuti et l’ensemble musical des Muffatti.
Il a également réalisé la dramaturgie de deux spectacles de Franco Dragone : « The House of Dancing Water » à Macao et « The Han Show » à Wuhan.

Il est aussi critique littéraire et chroniqueur ; à ce titre, il publie toutes les semaines, sur le site du Soir, une chronique politique sur le thÚme des « ennemis intérieurs de la démocratie ».

Il a reçu de nombreux prix littéraires. Son roman Raphaël et Laetitia est le premier volet de sa fresque italienne qui se poursuit avec Retour à Montechiarro (Fayard, 2001, prix Victor Rossel des jeunes en 2001) et Requiem vénitien (Fayard, 2003).

Il publie notamment chez Jean-Claude LattÚs « Les absentes » (2006), « La peur du Paradis » (2009), « Le mariage de Dominique Hardenne » récompensé par le Prix Berheim du roman. Depuis 2016, il publie aux Escales.

Sources : « Mourir, la belle affaire, mais vieillir
 »   & Les vieux ne parlent plus

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