« Mourir, la belle affaire, mais vieillir… »
Que faire de nos aînés ? Alors que la population est de plus en plus vieillissante, que la crise fait rage, que les vieux semblent gêner car ils ne sont pas rentables, le gouvernement met en place un système aux apparences démocratiques : les Villages de Santé pour Aînés. Plus besoin de prendre en charge les finances et les fins de vie, parfois difficiles, de vos parents. On s’en occupe pour vous. Le gouvernement a ainsi créé, un peu partout dans le pays, des établissements à la pointe où l’on prend soin des seniors et de leur patrimoine.
Maître Alexandre Geoffroy, avocat spécialisé dans la tutelle des personnes âgées, est l’un des concepteurs de ce programme. Il a développé un logiciel qu’il a vendu à l’État et qui permet d’avoir un pronostic vital du senior. Alexandre est même devenu le meilleur porte-parole de ces Villages. Il se rend partout pour en faire la promotion. Me Geoffroy est un personnage arrogant qui fréquente les hautes sphères. Il a ses privilèges qu’il entend bien garder. Il aime qu’on respecte son rang et qu’on le flatte. Ce célibataire apprécie la compagnie des femmes, notamment de Lise Charcot, une présentatrice de la principale chaîne télévisée du pays. Sa plus fidèle compagne reste toutefois sa mère. Il se ne passe pas une journée sans qu’il la voie.
Il se rend dans l’émission de Lise, « Des hauts débats », pour faire la promotion des Villages de Santé pour Aînés. Face à lui, l’un des plus grands opposants à cette politique gériatrique, Pierre Rambaud, un militant des Droits de l’Homme, qui hurle au scandale : selon lui, c’est un meurtre de masse. Mais Me Geoffroy ne se laisse pas déstabiliser. Tout semble lui sourire. Pourtant, les choses commencent à se compliquer avec la mort suspecte de l’un de ses clients, Joseph Patty. Le fils de ce dernier, un député ambitieux, est persuadé que Me Geoffroy a assassiné son père et va tout faire pour le déstabiliser. Cette mort est embêtante, d’autant plus que son alibi vole en éclats. La santé de sa mère lui donne également du souci. La mémoire de la vieille dame commence à lui faire défaut. Alexandre imagine des plans pour partir avec elle dans un paradis perdu. Il ne faudrait pas qu’elle soit prise en charge par les Villages de Santé car il n’a aucune envie de leur confier sa propre mère. Pourquoi ? Le programme et le logiciel qu’il a mis sur pied peuvent-ils se retourner contre lui ? Ses propres affaires ne font-elles pas de l’ombre à celles du gouvernement ? Ne s’est-il pas jeté lui-même dans la gueule du loup ? Et que cachent réellement ces Villages de Santé : des établissements de soin ou des mouroirs ? Me Geoffroy n’a-t-il pas donné naissance à une arme puissante ?
Les vieux ne parlent plus, qui relève du roman d’anticipation, est une dystopie mettant en scène une société sombre et individualiste. Les plus gros ont pris tous les pouvoirs, ont muselé les petits et se débarrassent des plus faibles. Proche d’un scénario et bercé d’ironie, le récit donne à voir un monde totalement replié sur lui-même, un véritable état policier, une dictature douce. Même si la société imaginée ici n’est que fiction, le roman s’ancre dans des problématiques contemporaines qui résonnent particulièrement en ces temps troublés par le coronavirus : crises économiques, pandémies – à noter toutefois que le roman a été écrit cinq ans avant la pandémie de Covid-19 –, population vieillissante, migration… La crise de la Covid-19 a mis en lumière certaines zones d’ombre de notre civilisation, notamment la manière dont nous avons traité nos aînés, totalement abandonnés à une mort certaine. Vincent Engel, grand humaniste impliqué dans le débat public, nous donne à voir un monde glaçant où toute notion de solidarité semble avoir disparu. Avec le titre du roman, l’auteur rend hommage à Jacques Brel et sa chanson Les vieux dans laquelle les personnes âgées sont vues comme des citoyens de seconde zone :
Les vieux ne parlent plus
Ou alors seulement parfois du bout des yeux
[…]
On vit tous en province quand on vit trop longtemps.Un roman qui, assurément, fait froid dans le dos.
Auteur prolifique, Vincent Engel a déjà publié aux Éditions Ker plusieurs romans, recueils de nouvelles et un essai.Émilie Gäbele
Professeur de LittĂ©rature contemporaine Ă l’UniversitĂ© catholique de Louvain (UCL) et d’histoire contemporaine Ă l’Institut des hautes Ă©tudes des communications sociales (IHECS), il a Ă©crit de nombreux essais, romans, nouvelles ou pièces de théâtre.
Une pièce sur Vivaldi (“Viva!”) a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e l’automne 2017 avec Pietro Pizzuti et l’ensemble musical des Muffatti.
Il a Ă©galement rĂ©alisĂ© la dramaturgie de deux spectacles de Franco Dragone : “The House of Dancing Water” Ă Macao et “The Han Show” Ă Wuhan.
Il est aussi critique littĂ©raire et chroniqueur ; Ă ce titre, il publie toutes les semaines, sur le site du Soir, une chronique politique sur le thème des “ennemis intĂ©rieurs de la dĂ©mocratie”.
Il a reçu de nombreux prix littéraires. Son roman Raphaël et Laetitia est le premier volet de sa fresque italienne qui se poursuit avec Retour à Montechiarro (Fayard, 2001, prix Victor Rossel des jeunes en 2001) et Requiem vénitien (Fayard, 2003).
Il publie notamment chez Jean-Claude Lattès “Les absentes” (2006), “La peur du Paradis” (2009), “Le mariage de Dominique Hardenne” rĂ©compensĂ© par le Prix Berheim du roman. Depuis 2016, il publie aux Escales.
Sources : « Mourir, la belle affaire, mais vieillir… » & Les vieux ne parlent plus